#1 Carl Patenaude (1er jet)
- Felixe Fille
- 14 févr.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 avr.
Carl Patenaude renversait la tête vers l’arrière en souriant. Tout le foulard que sa femme lui avait tricoté lui tenait non seulement au chaud, mais lui servait aussi d’oreiller à temps perdu. Au début, il avait chiâlé : c’était trop long, ça grattait, la couleur était laitte… patati et patata. Mais dans ce trou perdu à -40, sur sa chaise à aguicher un feu un soir d’hiver, il était plutôt heureux d’avoir enduré la bouche serrée en cul de poule de Pauline et les incessants "clic-clic" qui, parfois, le tenaient éveillé. Maintenant, il pouvait avoir la paix. "Si c’est un lac gelé qui peut y fermer la gueule de temps en temps… ben c’est ça qu'ça prendra."
À l’horizon, quelques signes de vie se manifestaient par de petites lumières au loin. C’était silencieux. Bien sûr, il savait que tout le monde devait se trouver près d’une télévision, blotti dans la chaleur des maisons du coin. Il sourit, cassant la glace qui dorlotait sa moustache.
Quand Carl avait affirmé à sa femme et à sa fille qu’il allait seul regarder les étoiles sur le lac ce soir-là, les deux femmes s’étaient regardées sans grand étonnement. "Bois pas trop", lui avait dit Mariane. "J’viendrai pas te chercher dans un lac gelé à minuit, ça c’est ben sûr !" lui avait lancé Pauline. Mais cela n’avait fait qu’élargir le sourire qu’il portait déjà.
Une douce chaleur se propageait en lui à l’idée de la solitude. Il n’avait jamais eu peur de celle-ci. Il s’avouait qu’il n’avait jamais été aussi bien que depuis qu’il s’était installé dans cette vieille maison près du lac Falardeau, loin de toute forme de vie citadine. C’était cette maison qui l’avait poussé à quitter un emploi qui le brûlait à petit feu et à s’isoler dans un vieux garage de village où il vivait désormais la belle vie.
C’était la maison familiale de sa femme, et Carl était tombé en amour avec son allure et son esprit chaleureux. Il endurait presque Pauline uniquement pour la maison. Il avait bien un peu d’affection pour elle, mais elle était une personne qui se laissait faire et pleurait souvent sous les couvertures. "Si tu veux que quelque chose change, fais quelque chose !" Elle n’en fit rien. "Ses choix, son problème."
Il regardait la maison dressée au-dessus d’une côte à pic qu’il avait descendue bien prudemment. C’était une maison atypique, presque toute orange, montée en triangle. Une énorme fenêtre, qui devait bien faire toute la façade, dévoilait l’intérieur. La première pièce visible était le salon. Le plancher, en bois franc verni, et la décoration rustique mariée à des plantes feuillues rendaient la pièce vivante et semblaient contenir des histoires par milliers. Le deuxième étage était visible grâce à la mezzanine qui donnait sur deux chambres. La lumière bien allumée, il entrevoyait l’ombre de sa fille sortir d’une de ces chambres. "Pauv’ fille avec ma face laitte", murmura-t-il. Il haussa les épaules et secoua un peu ses jambes avant de renvoyer son regard aux étoiles.
BZZZ POW
Il sursauta, croyant que c’était la glace qui avait cassé. Le cœur battant, il courut en sécurité. Réalisant qu’il serait déjà mort si c’était le cas, il se retourna pour observer d’où le fameux bruit provenait. Mais il n’y avait rien à l’horizon.
"Attends… y-a rien à l’horizon ?"
C’était la nuit totale. Totale dans le sens où il n’y voyait absolument rien, et il aurait presque cru avoir perdu la vue. Levant la tête, il perçut les étoiles. Il suspecta une panne de courant et décida de remonter la pente au travers de l’escalier enneigé et glacé. Jamais il n’avait fait aussi sombre. Il était bien heureux d’avoir sa lampe frontale, mais elle n’éclairait pas bien loin.
Lorsqu’il arriva à la maison, c’était silencieux et une odeur étrange avait envahi l’espace. Un frisson lui parcourut l’échine.
"Marie ?" cria-t-il comme il le faisait toujours. Mais au lieu d’entendre un grognement digne des ours du coin ou un cri de détresse, il fut giflé par un silence inquiétant...
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